La planche à billets !

La proposition de Partage Marchand bouleverse beaucoup nos habitudes, nos idées sur le commerce de biens immatériels et sur l’Internet. Voici la représentation graphique du prix et du revenu cumulé d’un tel bien, en respectant le principe d’équité de la théorie.

Comme cette proposition touche à l’argent, il est très tentant pour les lecteurs de s’emporter, qu’ils manquent justement d’argent ou qu’ils en soient rassasiés. C’est un sujet qui déchaine les passions, en premier par ceux qui disent s’en moquer. Quand enfin les principaux intéressés sont les artistes, c’est comme leur présenter sous leur nez leur plus grand repoussoir. Mais constatons ce qui semble être une irrationalité; les plus grands détracteurs des aides sociales sont souvent des personnes dans le besoin, et ceux qui sont les plus virulents contre l’impôt n’en paye généralement pas.

Revenons en arrière avant l’ère industrielle. Les gens sont majoritairement des « artisans », qui exploitent un savoir faire pour créer des biens uniques. Que ces biens soient vendus au plus offrant n’est pas choquant en soit. Ce sont des biens matériels, donc leur créateur en est dépossédé dès qu’il le vend. La revente est le premier degrés de la spéculation, où un intermédiaire use de la mauvaise répartition de l’information pour extirper une commission la plus importante possible, sans rapport avec le travail demandé pour fabriquer, transporter ou transformer l’objet. Dans le monde physique, il parait difficile de se soustraire de cette pratique ancestrale de l’art du commerce se mutant en spéculation. Plus l’objet créé est classé dans le domaine de l’Art et plus son prix est arbitraire, allant de: « …cela ne vaut rien car ce n’est pas utile ! », à « …c’est la plus grande chose créé par l’homme, donc c’est d’un prix inestimable ! ». En fin de compte, ce serait la notoriété, la popularité de l’œuvre qui en ferait sa valeur, mais on voit que durant l’ère artisanale, cette popularité n’est peu connue tout simplement parce que le peuple n’a aucune connaissance de l’existence de l’œuvre fraichement réalisée. C’est souvent un petit cercle, d’amateurs, appartenant à certains courants de pensée et de culture qui font chanter l’artiste pour attribuer un prix à ses œuvres et donc un revenu. Le marché de l’art est manifeste que les plus grands gagnants sont les revendeurs et rarement les créateurs…le droit de suite est semble t-il très récent. La société, tout comme les individus, sont conscients de la nécessité d’entretenir un monde culturel riche, pour éviter les fanatismes, et face à l’injustice subie par les artistes dans le monde capitaliste, l’économie du don vient au secours. Loin de moi l’idée de dénigrer le don, je ferais juste remarquer qu’il a plus de sens dans l’ère pré-industrielle, celle de l’artisanat.

Le XIXième et XXième siècles ont poussé au paroxysme la mécanisation de la production des biens matériels pour faire des économies d’échelle de plus en plus grande, et donc des marges aussi plus grandes. On a constamment baissé les couts marginaux (coût pour produire une instance de plus), sans jamais les annuler. En effet, seuls les biens immatériels ont cette caractéristique de non rivalité; d’avoir des coûts marginaux exactement nuls. C’était et c’est encore le règne de l’entreprise, de plus en plus grosse (par effet d’échelle), au point d’être plus importante que certains états, et nous savons tous, avec Hollywood, que la culture n’a pas été épargnée par cette vague.

Or l’effet d’échelle, et la prédominance des entreprises culturelles à éloigné l’artiste créateur de son public. Sous prétexte que l’artiste veuille s’adresser au maximum de monde, l’entreprise se présentait comme l’unique solution, imposant ses règles, à savoir:

L’œuvre est multipliée par la production industrielle, son prix est fixé par l’entreprise qui a investit dans cette production et pourvoit des emplois, de la croissance pour l’économie. L’acheteur tout comme le créateur subissent le prix de vente unitaire, invariable et surtout le revenu tiré de la vente, proportionnel au nombre d’unités vendues n’est pas communiqué. L’argument ultime de ce système est que les œuvres à succès, donc très rémunératrices, servent à payer les créations moins populaires, comme un système mutualisé et solidaire entre artistes. On voit que le don est moins naturel dès l’instant qu’une personne morale s’intercale entre l’artiste et le citoyen, mais aussi parce que la multiplication des instances d’une même œuvre pose un problème. Combien dois-je donner sans savoir ce que les autres ont donné pour la même œuvre et sans savoir combien d’instances ont été vendues ? Ce système industriel à créer un « star système », générateur de très grandes inégalités et basé sur l’espoir de devenir célèbre et riche. Autant la célébrité serait une quête légitime de l’artiste, autant la richesse (pécuniaire) n’est que le résultat de l’effet d’échelle du processus industriel, qui fait quelques heureux et beaucoup de malheureux, comme au Loto. Tout ce passe comme si les industries du divertissement et de la culture possédaient une planche à billets, et l’utilise quand bon leur semble.

Est ce pour autant normal pour un artiste d’avoir son existence rythmée par une forme de jeu de hasard et de fournir des revenus quasiment infinis, proportionnels aux nombres d’unités vendues, quelque soit l’effort et le travail fourni pour créer l’original ? La non-corrélation entre le travail et le revenu est la preuve de l’existence virtuelle de cette planche à billets, dans les mains des industriels.

Nous entrons maintenant dans l’ère post industrielle, avec Internet comme média principal. Certains pensent que rien ne doit changer, les industries culturelles doivent prendre le contrôle du Net pour l’adapter aux anciennes règles de l’ère industrielle. Mais on sens bien qu’il y a un problème quand une majorité, jeunesse en tête, se mets à pirater systématiquement les œuvres sur le Net. Les pirates compensent direz-vous en favorisant des performances, des concerts, des spectacles, mais tous les domaines, la littérature en particulier, ne sont pas adaptés pour des représentations publiques. En même temps, le Net est un parfait réceptacle pour un e-book, un contexte rêvé pour la publication depuis Gutemberg.

Alors, on soutient, pour narguer les multinationales du XXieme siècle que le Net reste un espace libre, non-marchand, pour que la culture se diffuse sans aucune résistance. Mais quand on pose la question de la rémunération des artistes, les réponses tournent autour de trois sources :

  • le revenu de base inconditionnel, donc considérant que l’artiste n’a pas à avoir de revenu autre que pour survivre.
  • la Contribution Créative ou autre Licence Globale, créant une institution, à coût non nul, corruptible et chargée de répartir, inéquitablement,  les recettes tirées d’une taxe.
  • le crowdfunding, forme moderne du don, peu pérenne, minoritaire par nature et généreux surtout pour les plateformes.

La guerre est même ouvertement déclarée en demandant la légalisation du partage non marchand, comme un antibiotique, qui ravagerait tout sur son passage. Tout œuvre immatérielle se retrouverait disponible gratuitement sur un serveur P2P public, sous l’œil impuissant de son créateur qui ne percevrait aucun revenu. Le peuple se révolte pour prendre la planche à billets aux industriels, intéressés uniquement par des rendements à deux chiffres, mais se soucis t-il de la source de revenu des artistes créateurs des biens immatériels ?

Il est normal que chacun soit perdu face à cette situation. Suite à une discussion par e-mail avec des personnes plus proches du milieu artistique que je ne peux l’être, il semble qu’il y aurait selon eux une volonté des créateurs à ne pas se professionnaliser, à rester amateur pour ne jamais avoir la contrainte de produire pour vivre, risquant de dénaturer leur œuvres pour les vendre. Je respecte parfaitement cette requête, mais doit elle être imposée à tous ? Il est même contradictoire, je pense, que ces mêmes personnes ventant l’amateurisme (au sens noble), ne sont pas plus critiques que cela face au « star système », fruit du capitalisme débridé !

Notre proposition de Partage Marchand impose quelques contraintes et celle qui m’a été récemment contestée est la « limitation par le créateur du revenu maximal escompté ». Il faut d’abord comprendre que le système proposé est un retour à un entrepreneuriat individuel (petite équipe), plus proche de l’artisanat que de l’industrialisation. Si on reste dans le modèle de revenu strictement proportionnel au nombre d’instances vendues, c’est comme si l’on transférait la planche à billets des mains des industriels vers celles des créateurs. Comme il n’y a plus la solidarité maintenue par l’entreprise, le revenu est encore moins limité pour les œuvres populaires; la planche à billets est bien huilée, aux frais des internautes. Parce que je pense que c’est une question d’équilibre entre les acheteur et les vendeurs, il n’est pas anormal qu’il y ait un système qui évite l’emballement. Aucun travail d’un humain ne mériterait un salaire infini, à vie pour une tâche, aussi belle soit t-elle, alors pourquoi sous prétexte que l’on touche à l’Art et que les artistes n’aiment pas voir leur acte de création comme un travail (un simple sujet à rémunération), ou encore que la notion d’utilité n’accroche pas à leur création, un revenu infini, à vie, serait légitime ?

C’est vrai que la borne supérieure de revenu dans le Partage Marchand est seulement dépendante de la popularité de l’œuvre (le nombre d’acheteurs) et non de la date de décès du créateur, après un délais arbitraire de 70 ans comme c’est le cas défini par le Droit d’Auteur. Ainsi, il n’est pas impossible qu’une œuvre passe dans le domaine public durant la vie de l’auteur. Est ce si inadmissible ? N’est ce pas une version beaucoup moins extrémiste que la demande de légalisation du partage non marchand, qui met de facto l’œuvre dans le domaine public, dès sa naissance ?

Comme je le répétais dans les précédents posts, les valeurs de prix, de remboursements ou de revenus sont continues, il n’y a pas d’effet de seuil temporel, comme pour le droit d’auteur ou seuil spatial comme pour le piratage, avec des internautes qui prennent gratuitement et d’autres qui payent le prix fort.

Le passage dans le domaine public est l’équivalent pour un bien immatériel d’une vente de l’original pour un bien matériel, dans le sens que le l’acheteur, ici un ensemble très grand d’internautes à acheté, environ un centime chacun, l’œuvre immatérielle. Le créateur à reçu la rémunération qu’il escomptait. Effectivement, comme un sculpteur vendant une création un jour, ne peux revenir voir l’acheteur pour lui dire finalement, vouloir vendre deux fois plus cher ! Ici aussi, pour un bien immatériel, quand le créateur a fixé un revenu maximum à l’œuvre, il ne peut plus changer ultérieurement ce montant. Est-ce si méprisant que de proposer une telle solution intermédiaire entre deux extrêmes qui ne pourront semble t-il jamais s’entendre….je les accuse même de s’entendre pour continuer la guerre !

On pourrait continuer comme si les spécificités du Net n’existaient pas, penser que la Terre est plate et disserter selon qu’une montagne ou un océan en formerait le bord. Est ce vraiment démocratique que de laisser les plus rusés en Informatique déjouer les pièges pour continuer à Pirater et laisser se faire prendre les moins prudents ? Est ce normal de ne proposer qu’une offre dite légale restrictive (regardons du coté de l’édition littéraire en e-book) sur un modèle industriel dépassé ?

Précisons un point important, ma proposition reste une proposition et je ne vois pas de quel droit je voudrais l’imposer aux artistes. Il est très respectable que certains veuillent fournir gratuitement leur œuvres sur le Net, s’ils peuvent se le permettre financièrement. Si d’autres entendent continuer à se faire encadrer par une entreprise, même si cette dernière ne fait plus les tâches classiques de l’ère pré-internet (impression, diffusion, comptabilité, juridique,…), fort bien, mais j’ai la prétention de croire en une troisième voie. Cependant, pour que cette solution puisse exister, il ne faut pas qu’il y ait légalisation du partage non marchand, qui rappelons le, tuerait toute source de revenu directe. De part cette exigence, il semblerait que je soit classé par Calimaq comme un ennemi car il n’accepte plus mes commentaires sur son blog. Dommage!

La critique la plus méchante que j’ai essuyé est que ce serait dégradant et insultant de parler des artistes pour en faire des faire-valoir technique d’un projet mathématique! Cet argument n’est pas démontable car c’est un point de vue, mais je tiens à le mettre en perspective avec un situation bien réelle, quotidienne et pourtant aussi mathématique; Visa, Mastercard, Paypal touchent tous les jours des sommes astronomiques prélevées chez les commerçants (physique ou sur le Net), sous prétexte qu’ils rendent un service de paiement numérique. Mais personne ne semble s’insurger que le passage au numérique ne soit pas gratuit, comme l’a toujours été l’utilisation des billets de banques. C’est d’autant plus surprenant que le Net est construit sur un protocole qui permet le partage des coûts de gestion du réseau, sans tarification au débit ou à la consommation ! Alors que la majorité des services sont automatisables, automatisés, ne proposent pas une très bonne sécurité afin de vendre un service d’assurance, le paiement CD actuel instaure un paywall sur l’Internet, afin qu’il soit impossible/couteux de se payer directement entre particuliers, sans passer par un intermédiaire. Les artistes sont d’autant plus vulnérables aux caprices de ces multinationales dès l’instant qu’ils voudraient s’auto-produire, afin de se rapprocher de leur public. Que les mathématiques (niveau 1ere) du Partage Marchand puissent un jour supplanter des mathématiques (niveau CM2) du commerce de bien matériel, pour permettre à un système plus démocratique d’exister, je ne vois absolument pas en quoi ce serait dégradant.

Je ne cherche pas à parquer les artistes dans un système autre que celui de monsieur tout-le-monde, je fais simplement le constat que dans les biens immatériels du Net, tous les résultats de la recherche ou ceux à des fins d’éducation devraient bien évidemment être gratuits, libre d’accès pour tout internaute parce que leurs auteurs sont rémunérés par des institutions publiques ou privées, au terme de concours, sélections par des pairs, canons scientifiques reconnus, tandis que dans le domaine culturel, le seul juge de la qualité d’un artiste reste le peuple. Finalement, l’acte d’achat est le meilleur indicateur de satisfaction d’un public vis à vis une œuvre immatérielle (les ‘j’aime’ ou ‘j’aime pas’ ne sont pas valides sans une identité numérique associée, ni restriction d’utilisation). Parce que l’Art a comme la science le besoin de diffusion la plus étendue possible, Internet lui offre cette possibilité divine. Je pense même que dans certains domaines encore actuellement matériels, comme la sculpture, on puisse dans quelques années avec les progrès de techniques de « scanning » 3D, permettre au sculpteur de conserver l’original chez lui, et de « vendre » sur le net le fichier qui reproduit la forme 3D, permettant à chacun de se fabriquer une instance de l’œuvre avec une imprimante 3D perfectionnée. La sculpture aura alors rejoint la littérature. Qui se préoccupe aujourd’hui de savoir en lisant un beau texte où se trouve l’original papier, s’il existe (!).

Donc pour résumer, Internet permet de rapprocher l’artiste du public, de réduire les couts intermédiaires donc ne proposer que des prix très bas et un revenu élevé pour le créateur, simplement par la magie du nombre potentiellement infini d’internautes. Le réseau permet de ne pas déposséder l’artiste de son œuvre, et de lui donner la possibilité de vivre de son art s’il le désire et si son public est assez nombreux. Je n’ai aucun intérêt personnel à dire cela, n’étant pas moi même artiste, juste chercheur de l’Internet.

5 réflexions au sujet de « La planche à billets ! »

  1. Bravo pour la création de cup.
    Néanmoins il reste un problème, qui est la différence entre les artistes a succès et les autres.
    Et ce système risque d’accroître cette inégalité.
    En effet une personne connue verras le prix de vente a l’unité diminuer très rapidement, les éventuels acheteur sont pratiquement sur de se faire rembourser. A contrario un artiste peu connus aura du mal a vendre plus de 500 exemplaires par exemple, et le prix et le risque seront donc plus élevé. Ainsi un consommateur pourra acheter les yeux fermer un artiste connus, mais il y regarderas a 2 fois pour un nouvel artiste ou un moins connus, car il risquerais de payer le prix fort.

    • C’est vrai et c’est faux!
      La rémunération n’est pas linéaire en fonction du nombre d’acheteurs. Ainsi, peut-être que 500 exemplaires représente 70% du revenu escompté. Je mettrai un petit simulateur en ligne pour avoir des données exactes.
      Non, il n’accroit pas les inégalités comme peut le faire le « star système » actuellement, en particulier à cause du revenu maximal affiché dès le départ, car des trop grandes disparités qui ne correspondraient pas à des popularités estimées pourraient être rejetées.
      C’est vrai que d’acheter un auteur peu connu est un risque de ne pas être remboursé ou d’attendre très longtemps, mais il n’y a pas de mauvaise surprise comme avec des taux d’intérêts variables qui flamberaient. La prix affiché est le MAX, et resterait raisonnable. Ainsi un ebook peut être mis initialement vers 10€, ce qui semble cher, mais en attendant 3 ou 4 mois, on peut le payer 1€.
      N’oublions pas que tout revient au(x) créateur(s),…ce qui est loin d’être le cas dans le système actuel, donc on devrait constater un meilleur pouvoir d’achat pour tous.
      Oui, c’est vrai, les plus riches achèteraient avant les plus pauvres, dans une logique de risque.

    • Je pense que tu devrais parler plutôt de prix décroissant vers 1 centime (par exemple) car le 0 n’est atteint qu’a l’infinis. Hors tu as dis que l’œuvre passait dans le domaine public a un moment, et donc cela veux dire que tu met un seuil non nul, qui lorsqu’il est atteint fait passer l’œuvre dans le domaine public.
      Du coup il est plus juste de dire qu’un acheteur a 10€ se verra remboursé de 9,99€ in fine.

      Par ailleurs je pense qu’il faut encore réfléchir sur la courbe a appliquer a cette décroissance de prix, elle pourrait par exemple être par palier pour éviter de trop peser sur le 1er acheteur, et pour donner également une certaine stabilité du prix dans un laps de temps. Au final différent types de courbes pourrait être choisi par le vendeur en fonction de son profil ou de sa stratégie.

  2. C’est juste! Le paramètre précision est important. Il sera accessible dans le simulateur.
    Tu as raison aussi sur la stabilité des prix, je vais regarder si le paramètre xi suffit ou s’il faut utiliser plusieurs courbes. En fait, j’aimerais bien trouver les 2 courbes de prix qui encadrent celles possibles.

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